— Mon p'tit Chrys, le Capitaine veut que t'ailles lui chercher un truc sur l'île. Semblerait qu'ce soit urgent.

Mimique désabusée s'inscrivant sur les traits de la Créature ;  une main attrapait le morceau de papier à la hâte, le froissant presque au contact. Coi, les orbes smaragdin furetèrent en premier lieu vers les traces d'encre – prenant connaissance de son contenu et, l'écrasant dans la paume opaline, s'attardèrent enfin dans ceux du camaro. Une fixation assumée débutait alors, bien que courte dans sa durée, dont l'émanation berçait l'autre d'une presque stupeur. Incompréhensible, sans l'ombre d'un doute. Et vraisemblablement le garçon lui-même ignorait la teneur de son regard.

Sans un mot, une poigne posée sur une épaule contractée, et déjà prenait-il la direction de la cabine du planificateur de cette mauvaise blague estimée. Parce qu'il paraissait sans doute invraisemblable d'être envoyé pour récolter des choses dont il ignorait jusqu'à l'apparence supposée, lui, l'être qui longtemps avait déserté les terres de sa naissance. Quelques instants durant, les aboiements se renforçaient, s'infiltrant dans le couloir partiellement occupés. Puis, enfin, tout cessa.

— Si c'est à toi qu'j'demande ça, c'est que t'es le plus à même de réussir à dénicher ces saloperies. Alors file me chercher ça. Bouge ton derche Gamin, ça urge.

Quelques mots, une gestuelle pour le moins inhabituelle. Pour autant, flanqué à la porte sans plus d'informations, Chrysantos ne remarquait guère les subtiles différences. Ni le temps, ni l'occasion, dirait-on, à tort ou à raison.

Muettement, il prit possession de la barque sous l’œil circonspect des navigateurs. Ô les remarques se lisaient dans les rétines comme dans un livre d'images ; les questions silencieuses s'avéraient être toujours les mêmes, lorsque cela arrivait. Pourquoi ne se transforme-t-il pas ? Ce à quoi les plus anciens d'entre eux répondaient qu'il était douloureux pour l'enfant de le faire. Enfant. La Bête avait peu être l'âge d'être un père, il n'en demeurait pas moins le dernier de la fratrie, à leurs yeux.

Ce n'est qu'après plusieurs heures de rames qu'il arriva sur les rives de Kairos, maugréant contre la lenteur de sa métamorphose. Force était d'avouer que, s'il s'était davantage entraîné dans le passé, à coup sûr aurait-il pu envisager de l'utiliser plus fréquemment. Hélas, l'animal ne faisait que le minimum pour ne pas perdre l'une ou l'autre de ses identités. Identités physiques, tout du moins. En effet, celui-ci avait quitté le monde des bipèdes au profit de la liqueur de sel ; a contrario des affirmations préalables, l'Entre-Deux n'était donc assurément pas la personne adéquate pour ce type de demande, lui qui ne connaissait plus rien de ces terres qui l'avaient abandonné.

Pieds posés dans la boue, bras protégeant le visage des branches posées là, l'être déambulait à la recherche d'un endroit où poser ses maigres affaires pour la nuit. Nulle cabane, ni même véritable abri ; le septuagénaire sommeillerait sous les sombres nuées. Ne restait qu'à songer à ce que les perles de pluies n'affluent pas sur l'inamical sol. Chose peu probable, certes, mais sait-on jamais.

Dans tous les cas, il n'était guère envisageable de partir à la recherche des Agastache foeniculum dans ces conditions.

Premières lueurs traversant les ramifications boisées ; le fils Dicaeus s'étirait de tout son long, prêt à reprendre la route. Pour autant, celui-ci ne se pressait nullement, contrairement aux idées reçues, et lanternait ici et là en direction de ce qui paraissait être une plaine. Après que les aiguilles aient maintes fois tournées, il ne se faisait guère plus d'illusions :  Les instincts vieil Hynusin n'étaient plus ce qu'ils furent jadis. Ou plutôt son aveugle obstination à sortir l'Enfant de sa cage de verre s'aggravait dangereusement. Une marche fastidieuse s'instaurait alors, ne partant plus en quête de la plante inconnue, mais d'un endroit où de plus amples informations pourraient être données. C'est d'ailleurs comme cela qu'il parvint dans un village de prime abord vidée de toute présence. Un calme toutefois plaisant, force était de l'avouer. Mais, hélas, une quiétude de courte durée.

Quelques pas, une avancée placide en apparence, et déjà le Bandit s'installait non loin de ce qu'il soupçonnait être la grande place, guettant à la sauvette les villageois et leurs gestes outragés par les récents événements. Au cœur de la conversation, des récoltes saccagées, alors même que les réserves s'amoindrissaient comme cheval au galop. Pour cause, ces bestioles malveillantes en quête de nourriture pour leur propre survie, disait-on, affirmation que nul ne semblait contredire. C'est qu'ils allaient un peu vite en besogne, ces gars-là. Pour autant, la tension restait compréhensible pour celui qui, durant de nombreuses années, ne se nourrissait que de ce qu'il dénichait – mais ces quelques actes compréhensifs ne signifiaient pas pour autant qu'il cautionnait les mesures que les culs-terreux envisageaient de prendre.

— On doit s'en débarrasser avant qu'ils reviennent pour détruire ce qu'il reste !

Paroles véreuses, une fois encore. Parce qu'ils se méprenaient sur les agissements des bestioles autant que des raisons qui les poussaient à s'approcher des régions habitées. Et lui, le savait mieux que quiconque, qu'il n'y avait là nulle gaieté de cœur dans leurs probables apparitions. Voilà pourquoi les propositions ne disposaient que d'un champ limité ; Poursuivre et éliminer les pauvres mammifères n'étaient vraisemblablement pas la solution. Et, à cela, une gorge raclée.

— Em. Si vous cherchez quelqu'un pour régler le problème...

Pas pour les réduire au néant, mais pour comprendre. Cependant, cette réflexion persista dans son silence ;  ils n'avaient pas besoin de tout savoir, pas plus que lui ne souhaitait rester trop longtemps en leur compagnie. Seulement voilà :  il avait besoin d'un renseignement et, eux, nécessitaient une intervention pour ne pas se salir les mains. Pour ne pas noircir leur conscience. Étrange, pour des Hommes.